L’Argentine à l’honneur

L'Argentine à L'Honneur

Atlantico Sur, Mathilde MARIN, MUNTREF

L’Argentine à l’honneur

Des paysages parmi des paysages L’immensité, la diversité, la fugacité et un changement permanent, sont autant de dimensions qui s’imposent comme des traits distinctifs dans les paysages. C’est pourquoi ils présentent un défi à notre regard. C’est peut-être cette particularité qui a fait du paysage l’un des sujets stimulants, pour des voyages et des fantaisies, tout en attirant l’attention de scientifiques, d’écrivains et d’artistes peintres, pendant toute la modernité et jusqu’à nos jours. La possibilité de saisir à travers le paysage l’immensité de la nature, de développer dans son cadre une manière de connaître l’environnement, de pouvoir contrôler l’espace et même d’y projeter des émotions ont constitué des stimuli pour se consacrer à ce genre.

Construire un paysage a été non seulement un geste de maîtrise mais aussi un choix esthétique à inclure dans les projets urbanistiques et architecturaux. C’est ce qui a peut-être motivé ceux qui ont conçu le jardin de l’Hôtel Windsor (destiné à accueillir dans la tiédeur du soleil de la Riviera française, les touristes qui fuient la rigueur des hivers du Nord). Les paysagistes ont créé un jardin sauvage avec des plantes aux senteurs exotiques. C’est un style de jardins qui tout en étant un havre de nature, nous proposent des espaces pour la fantaisie et pour l’évocation de sites lointains et de temps diffus. Là-dedans, parmi les branches et les lierres, une série d’images lumineuses permet de découvrir avec une certaine étrangeté, des présences décalées qui excitent l’imagination. Une verdure aux nuances variées, un faisceau fugace de lumière intermittente confondu rapidement avec le brouillard et les nuages, avec des mers lointaines et des montagnes inconnues.

Le phare du bout du monde réapparaît, avec la vidéo de Matilde Marín, dans le jardin de l’hôtel. Il produit ici la même incertitude que dans son paysage d’origine. C’est un phare qui a pour but d’orienter les navigants dans les eaux glacées de l’Atlantique sud. Mais de par son emplacement et sa construction, il ne fait que les dérouter les conduisant au naufrage. Le paradoxe d’un phare qui déroute, fait face à un autre, présenté dans la vidéo de Gabriela Golder, Terre brûlée. La fumée et le brouillard y dessinent un paysage de charbon à la beauté insolite, car il s’agit d’un site ravagé par le feu. Ce travail est inspiré par un récit simple, qui prétend expliquer le désastre : “Deux oiseaux”, suivant la version des Carabiniers du Chili, en ont été les responsables. “Samedi le 12 avril, à 4 heures de l’après-midi, deux oiseaux se sont posés sur un fil du réseau d’électricité aux alentours de Valparaíso. Le vent, très fort, a secoué les fils. Les oiseaux ont été électrocutés. Les étincelles sont tombées sur les herbes de la prairie. L’incendie a commencé, le vent du sud l’a propagé. La terre a brûlé.” Les deux vidéos ont été réalisées dans un espace que nous pourrions définir comme le sud du sud. Pour l’imaginaire européen, la définition du sud et de ses conditions spécifiques, concerne les paysages chauds qui entourent la Méditerranée et s’opposent au froid du Nord. Ces images prises dans le sud du sud, (à Valparaíso, au Chili, celles de Golder, ou dans la Terre de Feu celles de Marín), se trouvent hors de l’ordre, inversent le sens euro centré et s’installent d’une manière bouleversante face au spectateur pris au dépourvu, dans cette ambiance accueillante du jardin exotique, dans l´hôtel de Nice, centre du festival OVNI. Dans ce contexte, En mangeant des paysages de Lia Chaia, est encore une autre production de l’imagination provenant du sud du sud, scandée par les mythes d’anthropophagie de la culture tupí-guaraní et des appropriations modernes de Tarsila do Amaral et de Mario de Andrade. La vidéo de Lia Chaia met en lumière la place culturelle du paysage dans les photos qui le montrent et renforce en même temps de manière synesthétique, une dimension qui n’est pas toujours mise en évidence, sa sonorité. Le son de chacune des photos-paysage dévorées par Lia dans la vidéo, les réinstalle et les répand, tout en déversant leur présence dans l’espace du spectateur.

Chacune des vidéos présentées incorpore, depuis sa singularité, une variété d’espaces, de sons et de situations possibles, placées dans le territoire de l’Amérique du Sud : au sud du sud. Ce sont seulement trois exemples qui montrent par leur diversité, l’immensité d’un territoire vaste et multiple où la fragilité fuyante de chaque instant est aussi puissante que le continuum de l’infini. Marín, Golder et Chaia, les trois vidéo artistes choisies pour cette interférence dans le jardin, se présentent comme une partie d’une scène artistique et culturelle active, dont nous voulons rendre compte depuis le projet BIENALSUR. Il s’agit d’un projet conçu dans le sud mais avec une vocation globale définie, qui peut montrer la coexistence de l’individuel dans la foule, qui veut construire des réseaux et construire des ponts entre les sites et les réalités éloignées, peut-être, mais dont la proximité dans la différence et la mise en commun peuvent contribuer à éclairer certaines dimensions délaissées, nous permettant de réfléchir sur des aspects de notre expérience de vie dans le monde contemporain.

Diana B. Wechsler
Directrice Artistique/Académique de BIENALSUR
Sous-directrice de MUNTREF Octobre 2016, Buenos Aires,

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